Du spontané au convenu…
Désormais, sur le stade, à l’issue de chaque épreuve, se répète la même scène: le vainqueur, mais aussi les médaillés d’argent et de bronze s’emparent du drapeau de leurs pays dans un geste quasi mécanique, et se lancent dans un tour d’honneur. Personne ne déroge à cette tradition. On peut même penser que ce tour d’honneur appartient presque au cérémonial olympique, tout comme la remise des médailles accompagnée de l’hymne national du vainqueur. Cette manifestation de joie, qui, désormais, n’a en général rien de spontané, fut très présente à partir des Jeux Olympiques de Los Angeles, en 1984, lors desquels Carl Lewis et ses compatriotes multiplièrent les succès. À l’issue de chaque victoire américaine, les Bannières étoilées semblaient se multiplier, et envahissaient l’espace cathodique dans le monde entier. Pourtant, cette tradition ne fut pas inaugurée durant ces Jeux. En effet, c’est aux Jeux Olympiques de Munich, en 1972, que l’athlète ougandais John Akii-Bua, après sa victoire inattendue dans le 400 mètres haies, l’inaugura. Dans l’euphorie, John Akii-Bua continua sa course en trottinant et en sautant quelques haies. Une immense ovation l’accompagna. Il entama alors un improbable tour d’honneur pour remercier le public munichois. Quelques mètres plus loin, il s’approcha d’un groupe de supporters qui agitaient un drapeau ougandais. Il s’en empara et continua son tour d’honneur en le brandissant. Jusque-là, personne n’avait manifesté sa joie sur un tour entier: «Je n’ai pas réfléchi à ce que je faisais. J’avais gagné, je n’avais pas envie que ça s’arrête. Je voulais remercier tout le monde», déclara-t-il. Parmi tous les champions qui s’emparent du drapeau de leur pays à l’issue d’un succès, en est-il un qui se souvienne de John Akii-Bua?
©Pierre LAGRUE