Haltérophile soviétique
Vassili Alexeïev, double champion olympique, titulaire de 80 records du monde et de 22 titres mondiaux, considéré en son temps comme l’homme le plus fort du monde, demeure l’incarnation absolue de l’haltérophilie. Dans les années 1970, à une époque où ce sport, miné par les problèmes de dopage, n’intéressait plus grand monde, les foules se pressaient quand cet Hercule (1,88 m, 153 kg) se produisait. Grâce à lui, l’haltérophilie trouva un nouveau souffle – il est vrai très provisoire.
Vassili Alexeïev fut en effet à la fois un héros soviétique, comme le Parti communiste savait les célébrer, et un cabot. Ce colosse au sourcil épais, aux favoris fournis, toujours vêtu d’un fin maillot rouge cerclé d’une ceinture blanche qui ne cachait rien de son embonpoint faisait de chacune de ses tentatives contre le record du monde un spectacle : il entrait en scène comme une star, poudrait ses mains de magnésie avec une préciosité cocasse, puis se concentrait devant la barre ; il soulevait alors celle-ci, son visage devenait écarlate, son corps semblait pouvoir se briser à tout moment ; une fois vainqueur de ce duel contre la fonte, il se retirait en coulisse, l’air dédaigneux.
Vassili Alexeïev, fils de mineur, s’astreignait à un entraînement rigoureux (il maniait des barres à raison de 4 à 6 heures par jour) et à un régime alimentaire gargantuesque (la légende dit que nulle journée ne se passait sans qu’il ait avalé un demi-kilo de caviar).
Vassili Alexeïev établit son premier record du monde le 24 janvier 1970. Le 18 mars de la même année, il marque les esprits en portant le record du monde du total olympique (aux trois mouvements) à 600 kg. Toujours en 1970, il devient champion du monde des lourds : il redonne à l’U.R.S.S. un titre qui semblait revenir de droit à ce pays depuis les années 1950, et que l’Américain Joe Dube lui avait « chipé » l’année précédente.
Dès lors, il devient invincible. En 1972, aux Jeux Olympiques de Munich, avec 640 kg aux trois mouvements, il humilie l’Allemand de l’Ouest Rudolph Mang (610 kg).
En 1973, le format de l’haltérophilie se modifie, avec la suppression du développé : Alexeïev établit le premier record du monde aux deux mouvements (arraché et épaulé-jeté), avec 417,5 kg. Aux Jeux de Montréal, en 1976, il s’adjuge une nouvelle médaille d’or (440 kg), son dauphin, l’Allemand de l’Est Gerd Bonk (405 kg), faisant figure de pâle faire-valoir.
Décoré de l’ordre de l’Insigne honneur soviétique en 1970, de l’ordre de l’Amitié des peuples et de l’ordre de Lénine en 1972, commandant dans l’Armée rouge, ce héros soviétique s’égare alors, menant une vie dissolue. Écarté de l’équipe d’U.R.S.S., il est réintégré en 1980, ce qui lui permet de participer aux Jeux de Moscou, où il se montre incapable d’arracher la moindre barre.
Élu au Congrès des députés du peuple de l’U.R.S.S. en 1987, Vassili Alexeïev devient l’entraîneur de l’équipe nationale d’haltérophilie en 1990. Peu avant les Jeux de Barcelone, il ne cache pas que certains de ses élèves se dopent, même s’il n’en apporte pas la preuve. L’ancien Hercule soviétique, aigri, jette ainsi un pavé dans la mare des hommes forts.
Souffrant de problèmes cardiaques, il s’éteint en Allemagne, dans la clinique où il était soigné.
©Pierre LAGRUE